Qu’importe le flacon … rien n’est moins sûr

Imaginons un caviste – un vrai, celui qui conserve du vin en cave – à court de place pour stocker ses bouteilles. Il aurait bien de la place dans un entrepôt en surface, mais celui-ci est loin d’être à 12°C comme c’est le cas sous le sol, puisqu’il est plutôt à 21°C.

Notre caviste, pas sot, va imaginer l’expérience suivante : il va mettre quelques bouteilles à 12°C, quelques autres à 15°C, d’autres encore à 18°C et enfin terminer par un petit stock à 21°C. Et il va ouvrir ces bouteilles après une semaine, deux semaines, trois semaines, un mois, deux mois, quatre mois, un an, deux ans … L’expérience dure ce qu’elle doit durer, mais notre caviste en tire les conclusions suivantes : à 12°C, le vin commence à gâter après 6 ans; à 15°C, il n’est plus vendable au bout de 2 ans; à 18°C les choses se dégradent puisque la conservation est limitée à 8 mois; et à 21°C, il faut absolument vendre le stock endéans les 12 semaines. Aussi, en remettant tout cela en semaines, il note : 12°C – 312 semaines; 15°C – 104 semaines; 18°C – 35 semaines; 21°C – 12 semaines. Ce qui lui permet de constater que chaque fois que la température augmente de 3°C, la durée de conservation est divisée par trois.

Parfait, se dit notre ami … Je sais maintenant à quelle température et combien de temps je peux garder mon vin. Et que si mon entrepôt est à 24°C durant l’été au lieu des 21°C testés, le vin s’y conservera durant quatre semaines à peine. Ou qu’il est illusoire de vouloir conserver une bouteille plus d’une grosse semaine au plus fort de la canicule quand il fait 27°C.

Notre histoire – les cavistes et les amoureux du vin nous pardonnerons d’imaginer une chose aussi horrible que de soumettre du vin à de telles températures – illustre les grandes lignes qui sous-tendent les tests de stabilité accélérés d’un cosmétique. Car les formulateurs travaillent exactement de la même manière, sauf qu’ils commencent par les plus hautes températures [30°C, 40°C, 50°C, …] pour tenter d’estimer la durée de vie du cosmétique à plus basse température [par exemple 20°C].

D’un façon très générale et très simplifiée et sujette à toutes les réserves qui soient sur un sujet aussi complexe, on estime que la durée de vie d’un cosmétique se réduit de moitié pour chaque augmentation de 10°C. La chose n’est pas folle, et est même issue des travaux du génial Svante August Arrhenius [1859-1927], terreur de tous les étudiants de matière scientifique en baccalauréat, accessoirement pionnier de l’étude de l’effet de l’augmentation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère sur le climat [et par ailleurs aïeul de Greta Thunberg]. Mais elle est fort imprécise pour des structures aussi complexes et aussi différentes des solutions parfaites d’Arrhenius que les cosmétiques. Mais donc, si l’on considère cette loi comme peu ou prou exacte, un cosmétique stable douze semaines à 40°C peut être estimé stable 48 semaines – presque un an – à 20°C.

Nous perdons donc en précision [la loi est fort approximative quand appliquée aux cosmétiques], mais nous gagnons terriblement en temps [le cosmétique doit être suivi durant douze semaines au lieu d’un an].

Sauf qu’il ne faut pas pousser les choses à l’extrême, et se dire que tester le cosmétique à 100°C va permettre de travailler huit fois plus vite. Il est, pour chaque cosmétique, une température limite, où tout se dégrade, où l’eau s’évapore, où les huiles s’oxydent, où la viscosité s’effondre tellement que les particules d’un gommage sédimentent … bref, où chauffer ne sert qu’à déterminer que tout est irréversiblement cassé. Et c’est justement là un autre travail du formulateur : partant de la température maximale à laquelle le cosmétique sera probablement soumis durant son existence [par exemple, se dire que, sous nos contrées, 35°C durant 3 jours et 30°C durant 10 jours sont des maxima raisonnables], il va s’efforcer de construire une formule qui tienne la route. À contrario, pour une crème pour les mains destinées aux mushers du grand nord [l’histoire est véridique, et est une création Copaïba 2001], il va vérifier que sa formule reste entière à -10°C ou -20°C.

Cette température maximale limite évidemment celle des tests accélérés, au grand dam du laboratoire qui voudrait commercialiser sa formule le plus vite possible. Fort heureusement, Copaïba consultance & formulation a plus d’une astuce pour concilier l’impossible …

Mais revenons à notre caviste, parce que nous ne vous avons pas tout dit, pressés que nous étions de conter ses aventures … Par exemple, il sait fort bien qu’un vin n’est pas l’autre, et que ses belles conclusions ne sont applicables qu’aux bouteilles étudiées, et pas du tout [ou du moins pas a priori] applicables à d’autres vins. Il sait aussi que l’évaporation du vin au travers du bouchon est une des grandes causes de vieillissement, et que les tests avec des bouchons synthétiques [genre de ceux commercialisés par le leader mondial – et belge – Normacorc] donneront des résultats bien plus satisfaisants que ceux réalisés avec les traditionnels bouchons en liège. Et il sait que si son goût est très sûr, il est largement en dessous d’œnologues confirmés, qui risquent de déclasser le vin plus rapidement que lui; et que les critères de qualité menant au déclassement se doivent d’être différent pour un vin de prestige ou un gros rouge qui tache …

Le cosmétologue sait tout cela lui aussi : un cosmétique n’est pas l’autre et malgré une solide expérience, les choses restent souvent imprévisibles; le contenant [pot, flacon, …] du cosmétique revêt une grande importance, et sot est celui qui perd son temps à des tests réalisés dans des emballages différents; les critères d’acceptation ou de refus peuvent être plus ou moins stricts [on acceptera plus facilement un léger glissement de la fragrance d’un gel douche de grande surface que d’un parfum de prestige] …

Réaliser un test de stabilité est donc d’abord quelque chose qui se conçoit en détails. Quelle réponse précise puis-je en attendre, quelles conditions de température puis-je me permettre, de combien de temps dispose-je avant que le laboratoire ne m’étrangle parce que les choses traînent, dispose-je vraiment des contenants définitifs et fermés comme ils le seront en productions réelles, quels sont les impératifs en termes de durée avant péremption mais aussi de températures raisonnablement prévisibles de stockage en magasin et chez la consommatrice, quels sont les paramètres réellement perceptibles par cette dernière, comment les mesurer, et où fixer la limite entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est plus, comment traiter d’une façon statistiquement opportune les résultats obtenus et choisir le nombre d’échantillons à tester … sont chacune des questions qui doivent trouver réponse avant d’entreprendre quoi que ce soit, au risque sinon de recueillir des résultats calamiteux parce que totalement inexploitables.

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