Bien des clients désireux de réaliser chez Copaïba des cosmétiques majestueux nous demandent d’y intégrer des huiles rares, précieuses, réputées … et terriblement fragiles. Et, a priori, ce n’est point sot : ces huiles fragiles vont protéger les lipides de la peau de l’oxydation [on les dit anti-oxydantes] car justement, elles captent tout ce qui pourrait passer comme oxydants [les particules métalliques de la poussière, la lumière du soleil, …] et forment ainsi un bouclier fort efficace. Sauf qu’elles surestiment leurs forces, et ne tiendront pas dans la durée, surtout en émulsions – dans les crèmes, dans les laits, … donc.
Prenons donc le temps d’y voir plus clair …
D’une manière générale, les huiles végétales sont largement constituées [et à de rares exceptions près] de triglycérides : trois molécules d’acides gras greffées [estérifiées dirait le chimiste avide de précision] sur les trois sites réactionnels de la glycérine.
un triglycéride : en haut à gauche, la glycérine, avec ses trois atomes de carbone [en gris] entourés d’atomes d’oxygène [en rouge]; les trois groupes d’atomes d’oxygène mènent aux trois acides gras [LAGUNA DESIGN / Getty Images]
Et ces molécules d’acides gras peuvent être saturées [toutes les liaisons entre chacun de leurs atomes de carbone sont simples] ou insaturées [certaines liaisons entre leurs atomes de carbone sont doubles]. La chimie étant faite de curiosités, les liaisons doubles sont plus fragiles que les simples. Et, en exagérant un peu, ne demandent qu’à batifoler, pour se combiner avec l’oxygène notamment – en générant au passage des molécules que l’évolution nous a permis d’identifier comme du pas bon, grâce à leur odeur de rance.
La molécule d’acide gras oléique, de formule chimique CH3(CH2)7CH=CH(CH2)7COOH, très abondant dans la nature, comme dans l’huile d’olive par exemple; en partant de la fonction acide [avec les oxygènes en rouge, en bas à droite], on remarque la double liaison entre le neuvième et le dixième carbone – la molécule est moins dense à cet endroit, ce qui entraîne une certaine fragilité; en comptant à partir de l’autre bout, appelé position ω [oméga], l’insaturation est en position 9 [au neuvième carbone] : l’acide oléique est dit ω-9. [www.ABOUTOLIVEOIL.org]
D’une façon générale toujours, si l’on part d’un acide gras saturé, le même acide gras mono-insaturé [une seule liaison entre deux atomes de carbone est double, toutes les autres sont simples] sera 100 fois plus fragile face à l’oxydation; et le même acide, mais doublement insaturé [deux liaisons entre deux atomes de carbone sont doubles, toutes les autres sont simples] sera 1000 fois plus fragile face à l’oxydation. Et la tenue d’une huile végétale face à l’oxydation est drastiquement dépendante de la présence de ces insaturations – ainsi, une huile composée d’une belle proportion d’acides saturés [comme le coco, avec à peine quelques % d’acides insaturés] est très stable; mais une huile renfermant beaucoup d’acides insaturés [comme l’onagre, qui ne renferme quasi que des acides insaturés] est horriblement fragile.
En résumé donc : les huiles végétales sont constituées d’acides gras greffés sur une molécule de glycérine; et plus ces acides gras sont insaturés [plus ils contiennent de doubles liaisons entre leurs atomes de carbone], plus ils sont fragiles, oxydables, rancissables.
Pas de souci, me diriez-vous, il y a les anti-oxydants … Eh bien non, hélas.
Car il faut tout d’abord savoir que l’oxydation d’huile végétale est un phénomène retors, qui se déroule en trois étapes majeures : tout d’abord, l’huile doit être malmenée [les métaux même en traces infimes, l’exposition à la chaleur ou à la lumière sont très efficaces en ces sens] et se voit apparaître un site réactionnel, extrêmement réactionnel; ensuite, ce site réactionnel se combine à l’eau ou à d’autres molécules d’huiles oxydées; et ensuite, le tout tente de se restabiliser en éjectant ce site réactionnel … qui n’a alors plus qu’à bondir sur une autre molécule pour recommencer la sarabande. La première étape est habituellement lente, et peut plus ou moins être contrôlée; vouloir maîtriser les suivantes est totalement vain.
Les anti-oxydants peuvent peu ou prou contenir les mécanismes de la première étape, mais seront complètement dépassés lorsque la réaction se sera emballée. Aussi, ils doivent impérativement être inclus dans l’huile avant l’oxydation [pour prévenir les dommages], pas après [pour tenter de réparer les choses]. Et ensuite, ils ne font que ralentir les choses- certes de façon assez efficace, puisqu’une huile protégée peut rancir 100 fois moins vite qu’une sans protection; mais que sont 100 fois quand une huile poly-insaturée rancit 1000 fois plus vite …
Globalement, on peut agir à deux niveaux avec les antioxydants : piéger ces sites réactionnels qui sautent de molécule en molécule [avec les polyphenols du romarin ou de la sauge, ou les vitamines C&E par exemple], ou enrober les traces métalliques [avec des substances comme la lécithine ou l’acide phytique]. C’est beaucoup, et c’est bien peu … Car d’expérience, la stabilité raisonnable [entendez le temps durant lequel le cosmétique reste acceptable par le consommateur] est limitée [par l’odeur, qui laisse alors apparaître des notes rances] dans le cas de cosmétiques contenant des huiles végétales fragiles [en concentration totale dépassant 1% très approximativement], à 1 an [période entre la fabrication et le moment où elle va commencer à sentir ces notes acides typiques des huiles oxydées].
Et vous le lisez bien : « en concentration totale dépassant 1% très approximativement ». La concentration en huiles fragiles n’est en effet pas un facteur déterminant : elles sont fragiles, produisent des sites réactionnels, et tout s’emballe – comme une seule pomme pourrie suffit à contaminer toute la caisse, et n’est pas vraiment moins néfaste que deux ou dix pommes pourries.
Aussi, en pratique, même si elles sont merveilleuses pour la peau [mais irritantes quand oxydées] :
1- on évite les huiles fragiles dans les émulsions [par contre, dans les sérums huileux, la stabilité est nettement meilleure]
2- on utilise des mélanges anti-oxydants performants [et il n’est pas facile de déterminer lequel est le plus approprié]
3- on travaille en milieu le plus fermé et le moins contaminable possible [l’airless est mieux que le flacon-pompe, lequel est mieux que le pot]
4- on utilise des huiles irréprochables, sans aucune trace d’oxydation [pour une fois, la chose est facile : les huiles oxydées sentent tout de suite le rance], impeccablement conservées [sous couverture d’azote idéalement]
5- on formule intelligemment, avec l’introduction des anti-oxydants au bon moment, et des huiles aux bonnes températures
6- on reste modeste, et on n’imagine pas proposer des dates de péremption irraisonnables