Etayer les allégations par des éléments probants …

En son règlement 655/2013/CE, le législateur régule les allégations cosmétiques*, exigeant qu’elles soient « fondées sur des éléments probants adéquats et vérifiables », et pourquoi pas « étayées par des études réalisées selon des méthodes correctement conçues », à condition bien sûr que « l’ensemble des éléments probants » soient pris en compte.
* nous avions déjà évoqué le sujet sur ce blog – séduire sans tromper : les allégations cosmétiques

blog allgation preuve doxey

Et dans les lignes directrices* concernant ce 655/2013/CE, il est même précisé que « la personne responsable détermine la méthodologie appropriée et suffisante à utiliser pour la justification des demandes ». Et le législateur ajoute que « l’adéquation et la pertinence [de la méthodologie] peuvent être évaluées par les autorités ». Bien sûr, la personne responsable « peut consulter un expert qui fournira un soutien approprié ».
technical document on cosmetic claims, 03 juillet 2017 [ce document est en anglais – toutes les citations ici exposées entre guillemets sont des traductions Copaïba]

Dans ces mêmes lignes directrices, il est rappelé que « différents types de preuves peuvent être utilisés pour […] justifier les allégations » et que « il est habituel de [les] justifier en utilisant soit des études expérimentales, soit des tests de perception des consommateurs et/oules informations publiées ou, en fait, une combinaison de celles-ci ». Mais que « ces études doivent comprendre des méthodes fiables et reproductibles », « suivre une méthodologie bien conçue et scientifiquement valide ». suivant des « critères […] définis et choisis en fonction de l’objectif du test ».

Il y est également stipulé que « l’aspect expérimental des études exige de s’appuyer sur la connaissance des principes statistiques dans la conception et l’analyse de l’étude, par exemple en termes de nombre de sujets, échantillons de test, etc » afin de « garantir des « conclusions scientifiquement et statistiquement valables ». Et le législateur d’insister sur le « protocole d’étude [qui] doit être établi, validé et contrôlé de manière appropriée afin de garantir la qualité de l’étude » et sur « le traitement des données et l’interprétation des résultats [qui] doivent être équitables et ne doivent pas outrepasser les limites de la signification du test ».

Si donc vous souhaitez produire des allégations cosmétiques [active la pousse des cheveux, diminue les rougeurs, excellente tolérance, effet lissant, … ] il vous faudra le démontrer. Et nous pouvons illustrer les exigences du législateur au travers de deux exemples :

1- vous intégrez dans votre cosmétique un ingrédient documenté en termes d’allégations
Ces allégations proviennent généralement du fournisseur du cosmétique, qui vous communique alors un document relatant les conditions du test, et notamment :

+ la concentration de l’ingrédient utilisée pour le test,

+ la formule du cosmétique utilisée pour le test [généralement, il y a deux formules identiques sauf que l’une contient l’ingrédient et l’autre pas]

+ les conditions du test [nombre de volontaires, âge|sexe|type de peau|… des volontaires, fréquence d’application, dose appliquée, durée du test]

+ la méthodologie utilisée pour apprécier les résultats [l’hydratation de la peau a été évaluée par CORNEOMETER® CM825, le facteur de protection solaire a été évalué selon la méthodologie ISO24444 & UV 601 Multiport® SPF Testing, le confort ressenti a été évalué via questionnaire soumis aux volontaires …]

+ les résultats [l’hydratation de la peau atteint +18% en moyenne, le SPF est de 34, 67% des volontaires signalent un meilleur confort et une peau moins tiraillée, …] qui doivent être confrontés à leur signification statistique* mais aussi à ceux obtenus en n’appliquant pas l’ingrédient [d’où les deux formules identiques sauf que l’une contient l’ingrédient et l’autre pas].
* la signification statistique permet d’estimer qu’il est peu probable [par exemple moins d’une chance sur 100] de se tromper en affirmant que les résultats du test « ingrédient » sont différents des résultats du test « sans ingrédient »; cette notion est essentielle pour distinguer deux séries de résultats, et affirmer tout en ayant peu de chance de se tromper qu’elles sont bien différentes.

La notion est compliquée, et souvent mal comprise – les statistiques sont d’ailleurs une branche des mathématiques fort peu appréciée des étudiants. Mais prenons un exemple classique: tout le monde sait qu’à pile ou face, on a une chance sur deux d’obtenir pile et autant d’obtenir face; mais tout le monde sait aussi qu’il est possible d’obtenir deux fois, trois fois, quatre fois … de suite pile [ou face]; mais que si la série de piles [ou de faces] se poursuit, la chose devient suspecte, et la pièce est probablement truquée. C’est là qu’intervient la statistique : elle permet de comparer les résultats obtenus avec une pièce normale à ceux obtenus avec une autre, et d’affirmer « cette pièce est truquée, et je l’affirme avec moins de 1% de chance de me tromper ». Dans un test cosmétique, on dira que la crème testée avec l’ingrédient permet une hydratation supérieure que la crème sans l’ingrédient, avec moins de 5% de chance de se tromper.

Vous avez donc un test et un résultat de test, qui permet d’affirmer que votre ingrédient est efficace. Dans ce cas, si votre formule renferme le même ingrédient, à la concentration testée, dans une formule fort similaire*, appliquée selon la même fréquence, la même dose et durant la même période que durant le test et est utilisée par le même type de public** que les volontaires recrutés dans le test [toutes les conditions doivent être réunies], vous pourrez afficher l’allégation.
* la formule doit être similaire pour garder l’ingrédient actif [il pourrait être instable dans d’autres formulations], garantir une pénétration similaire dans la peau, …
** un ingrédient pourrait ne pas avoir le même effet sur une peau jeune ou sur une peau mature, sur une peau caucasienne et sur une peau noire, …

2- vous intégrez dans votre cosmétique un ingrédient non documenté en termes d’allégations
Par « non documenté », nous signifions qu’il n’a pas été testé comme au point 1. Bien sûr, il peut jouir d’une solide réputation en termes d’activités, les renseignements en ce sens peuvent abonder sur le net, mais … vous n’avez pas de test à proprement parler. Il vous faut alors imaginer un test. Et ce n’est pas une chose simple.

Tout d’abord, il convient de se poser la question de savoir quelle réponse vous attendez du test. Soit les procédures sont largement définies [par exemple ISO24444 pour la mesure de la protection solaire] et le résultat aisément chiffrable [SPF], soit les choses le sont bien moins … Par exemple, si vous souhaitez démontrer que votre cosmétique active la pousse des cheveux, il faudra d’abord imaginer le test [combien de volontaires, quelle fréquence d’application, comment mesurer les résultats, …], le valider [ce qui consiste d’abord à en éliminer tous les biais, par exemple en procédant en double aveugle*], initier le test et en recueillir les résultats, et enfin voir s’ils sont probants – autrement dit, si avec suffisamment peu de chances de vous tromper, vous pouvez affirmer que les cheveux traités avec votre cosmétique pousseront plus vite | plus densément que les cheveux non traités. Et le recours à des agences spécialisées, qui prendront le temps de vous guider et de bien vous expliquer ce à quoi le test va répondre comme question et ce à quoi il ne va pas répondre, est essentiel.
* la technique en double aveugle consiste à réaliser le test de telle sorte que le volontaire ne sache pas s’il reçoit le cosmétique actif ou le cosmétique inactif [et la chose est parfois très complexe] et/ou que la personne chargée de l’évaluation [la longueur | la densité des cheveux par exemple] n’ait aucune idée si elle examine un volontaire qui a reçu le cosmétique actif ou inactif.

blog allgation preuve doxey2

 

Les exigences du législateur européen en termes d’allégation sont donc élevées et précises. Vous ne pouvez, en tant que personne responsable d’un cosmétique, affirmer que ce qui est vrai et démontrable. Démontrable signifiant que vous êtes à même de produire les conditions expérimentales des tests vous permettant les allégations, de sorte que toute personne un tant soit peu douée dans la conduite de tests cosmétiques ne pourra qu’obtenir des résultats similaires aux vôtres.

les deux illustrations sont extraites de l’Élixir du Docteur Doxey, septième album de la série Lucky Luke sorti en 1955, dessiné par Morris sur un scénario de son frère Louis [le vrai nom de Morris était Maurice De Bevere]
le Docteur Doxey est un de ces charlatans typiques du Far West qui s’enrichit par la vente de fausses médications prétendues extraordinaires

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