Et si nous parlions encore de stabilité …

Nous en avions déjà parlé dans ce blog*, la bonne conservation des caractéristiques d’un cosmétique au cours de sa vie est un élément essentiel pour tout ce qui touche à la date de péremption. En effet, le cosmétique est dit périmé quand ses caractéristiques s’érodent d’une façon inacceptable.
* [22 novembre 2019] caractéristiques physiques & chimiques du cosmétique et stabilité

Le principe général consiste donc à fixer* les caractéristiques du cosmétique [son pH, sa couleur, son parfum, sa viscosité, son efficacité…] au moment de la fabrication et de les comparer avec celles observées au cours du temps. Et le moment où les glissements seront inacceptables signera la date de péremption.
* mesurer, quantifier au mieux, établir des limites d’acceptation … bref, déterminer aussi précisément que possible ce qu’est et ce que doit rester le cosmétique pour être considéré comme acceptable – par ailleurs, ces caractéristiques sont utiles au dossier cosmétique [1223/2009/CE ann. IA2 et 674/2013/CE point 3.2.2]

Reste donc à comprendre quelles sont les caractéristiques essentielles du cosmétique. Essentielles dans le sens de nécessaires, fondamentales, constitutives – en fait, si ces caractéristiques n’existent plus, votre cosmétique est bon à jeter. Et dans ce sens, nous pensons pouvoir distinguer deux types :

1. les caractéristiques essentielles objectives, internes au cosmétiques.
Nous utilisons les mots objectives et internes au cosmétique afin d’insister sur le fait que le caractère essentiel de ces caractéristiques n’est pas lié à des critères de choix de la part de la personne responsable, mais sont fixées par des exigences techniques ou légales.

Quelques exemples peut-être :
1. une large part des substances anti-microbiennes naturelles sont actives sous pH5.50; le pH est donc une caractéristique essentielle objective, interne au cosmétique, en ce sens que si le pH venait à remonter au-dessus de pH5.50, le cosmétique ne serait plus protégé contre les contaminations microbiennes; ce fait est lié à la biochimie des substances anti-microbiennes naturelles, et non à un quelconque choix de la personne responsable.
2. certains actifs se dégradent plus ou moins rapidement dans un cosmétique; si une allégation d’efficacité est basée sur une certaine concentration d’un actif, sa dégradation rendra l’allégation fausse, et donc interdite*; à nouveau, c’est une réalité qui est liée au cosmétique et aux réglementations, pas à l’appréciation de quiconque.
* lire par exemple le 655/2013/CE point 3.6 et nos commentaires [25 janvier 2019] séduire sans tromper : les allégations cosmétiques sur ce blog

3. la sécurité des cosmétiques est liée à l’absence de certaines substances nocives, lesquelles peuvent, dans des conditions particulières*, naître au sein même du cosmétique; surveiller le cosmétique afin de s’assurer que les caractéristiques ne se déplacent pas vers ces conditions particulières est donc essentiel à sa sécurité, et non un critère d’appréciation personnel
* un exemple typique est celui des cosmétiques contenant à la fois du SODIUM BENZOATE [anti-microbien] et du ASCORBIC ACID [vitamine C] : un pH trop bas, des ions métalliques, un petit coup de pouce sous forme de lumière et/ou de chaleur peut conduire à la formation du très toxique benzène – ce phénomène fut à l’origine du retrait massif des bouteilles de Perrier pour cause de traces de benzène en 1990, mais ne fut chimiquement expliqué qu’en 1993

2. les caractéristiques essentielles subjectives, externes au cosmétique.
Au contraire des précédentes, ces caractéristiques sont liées aux choix de la personne responsable. Qui pourrait par exemple décider que son cosmétique se doit d’être jaune, ou couler hors du flacon d’une certaine façon, ou encore présenter une fragrance bien spécifique. Rien dans la physico-chimie du cosmétique ou dans la loi n’impose ces caractéristiques, qui ne dépendent que de choix – c’est pourquoi nous les nommons subjectives [autrement dit dépendant du sujet qui les observe] et externes.

Illustrons cela par quelques exemples encore :
1. la personne responsable du cosmétique* souhaite un cosmétique jaune – et ce pour des raisons qui ne regarde qu’elle, par exemple parce que sa marque s’appelle Yellow; si au cours du temps le beau jaune du départ s’affadit pour devenir blanc, il est évident qu’elle va déclarer le cosmétique non conforme à ses exigences; et même si la personne responsable n’a rien fixé de particulier au niveau de la couleur, le consommateur peut s’inquiéter de recevoir un jour un cosmétique jaune [issu d’un lot frais] et un autre un cosmétique blanchi [issu d’un lot plus ancien]; il va s’en émouvoir et sa confiance risque d’être perdue
* rappelons qu’au sens du 1223/2009/CE art. 4 est la personne responsable celle qui fabrique ou fait fabriquer le cosmétique et y appose son nom

2. le crémage est un phénomène physique qui affecte bon nombre de cosmétiques, mais qui peut être par une formulation adaptée, rendu tellement lent qu’il en devient très acceptable : en substance, l’émulsion migre vers le haut, laissant un phase aqueuse vers le bas; ici encore, le cosmétique n’en devient pas dangereux sauf cas exceptionnels, mais va être perçu comme quelque chose de mal formulé, étrange … et en pratique invendable

3. imaginons un cosmétique au parfum fait d’un irrésistible bouquet d’huiles essentielles, avec toute une communication autour de cette senteur exceptionnelle; si elle vient à faner pour ne plus ressembler à rien, il est évident que le cosmétique doit à ce moment-là être déclassé; une fois encore, tout sera une question d’exigence et d’appréciation.

En résumé donc, on pourrait affirmer qu’un cosmétique peut être considéré comme stable tant que ses caractéristiques ne changent pas au-delà de ce que dangereux [caractéristiques objectives] ou perceptible par le consommateur [caractéristiques subjectives].

Les caractéristiques objectives sont assez faciles à connaître si tant que votre formulateur soit un brin talentueux : il connaît les lois et règlements, les limites techniques de chaque ingrédient, les soucis d’incompatibilité entre les substances. Et donc maîtrise assez bien le sujet, et comprend rapidement quels seront les points à surveiller plus spécifiquement. Surtout que bien des textes en la matière donnent des indications assez précises quant à ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.

Les caractéristiques subjectives restent plus complexes. Car si évidemment votre cosmétique doit correspondre au cahier des charges sur lequel repose les travaux de formulation, ce dernier est souvent relativement imprécis : jusqu’à quel point un jaune reste un jaune acceptable, comment déterminer ce qui signera la fin de la stabilité de la fragrance du cosmétique quand cette dernière n’a pas encore été créée, jusqu’à quel point peut évoluer la texture du cosmétique au cours du temps … En pratique, il nous semble de fixer la limite à ce qui sera perceptible par le consommateur normalement attentif et averti – notion qui une fois encore fera appel à l’expérience de votre formulateur, mais également à votre réflexion attentive.

Un mot encore quant aux études de stabilité*, qui justement visent à quantifier ces phénomènes de dégradation et à surveiller l’évolution du cosmétique au cours du temps. Nous en parlions déjà dans ce blog**, elles font généralement appel à des tests accélérés, lesquels sont basé sur la loi d’Arrhenius. Qui hélas se montre assez peu prédictive en matière de cosmétique, de sorte que si ces tests accélérés peuvent donner quelques indications quant à la stabilité du cosmétique, ils ne peuvent pas prétendre apporter une réponse précise. Ils peuvent donc se montrer utiles, mais sont totalement insuffisants pour déterminer la durée avant péremption d’un cosmétique. Et là encore, le talent et l’expérience de votre formulateur se montrera essentielle.
* le très efficace 674/2013/CE point 3.2.3 reprend les conditions essentielles à ces études de stabilité
** voir qu’importe le flacon … rien n’est moins sûr

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