Et si nous parlions de naturalité …

Copaïba est un spécialiste des cosmétiques naturels, et il n’est pas étonnant que souvent lui soit demandé des formules renfermant majoritairement ou même exclusivement des ingrédients naturels.

Mais rapidement se pose la question de la définition complète de la naturalité. Car si certaines choses sont évidentes, comme l’eau qui peut être trouvée dans la rosée, la pluie ou les cours d’eau, d’autres le sont beaucoup moins.

Par exemple, les huiles essentielles sont largement reconnues comme des produits naturels. Cependant, l’esprit pointilleux fera remarquer que la distillation des huiles essentielles produit bon nombre de molécules qui ne sont pas présentes dans le végétal de départ, ou alors à des taux fort faibles par rapport à ceux trouvés dans l’huile essentielle. Un exemple très parlant, parce que fort visible, concerne la camomille sauvage, dite camomille allemande ou camomille matricaire [Matricaria recutita – la taxonomie des camomille reste un cauchemar de botaniste, avec de nombreux errements au cours de l’histoire de leur classification]. Cette huile est bleu, bleu foncé intense même – alors que la fleur est jaune à pétales blancs, comme celle de la camomille romaine ou camomille noble [Chamaemelum nobile]. Et si l’huile essentielle est bleue alors que la fleur que l’on distille ne l’est pas, c’est parce que cette distillation dégrade la matricine en chamazulène.

Copaiba blog ISO 16128 matricin chamazulene

La formule entière est celle de la matricine, présente dans la fleur de camomille sauvage. Lors de la distillation, les parties colorées sont arrachées de la molécule, et il ne reste plus que le chamazulène, illustré en noir [les puristes nous pardonneront quelques approximations quant à cette dernière]

La matricine est naturellement présente dans la fleur de camomille sauvage – c’est une molécule complexe, qui se présente sous forme d’un solide cristallisé incolore, avec des propriété anti-inflammatoires marquées – mais pas le chamazulène. Ce dernier apparaît lors de la dégradation thermique de la matricine, et se présente sous forme d’une huile bleue, avec également des propriétés anti-inflammatoires, mais moitié moindres que celles de la matricine. Alors, le chamazulène, créé de toutes pièces lors de la distillation, est-il réellement une molécule naturelle, et l’huile essentielle de camomille sauvage l’est-elle également …

Un autre type de souci qui peut rapidement se poser peut être illustré par le cas de la glycérine végétale. Car bien qu’il lui soit reconnu un caractère naturel, elle n’est que peu présente dans le monde naturel. En fait, la glycérine est largement répandue dans le monde végétal, mais dissimulée au sein des huiles végétales, qui sont principalement constitués de triglycérides – trois molécules d’acides gras greffés sur une molécule de glycérine [nous en avons déjà parlé dans l’article du 12 juin 2019 – les huiles fragiles mènent aux cosmétiques fragiles]. Et pour extraire la glycérine des triglycérides, il faut hydrolyser la molécule. La méthode est connue des siècles, c’est celle qui mène aux savons, type savon de Marseille. Alors, la glycérine, qui n’apparaît qu’après traitement des huiles végétales avec de la soude ou de la potasse, est-elle réellement une molécule naturelle …

Ce genre d’exemple peut être décliné à l’infini, et plus on connaît la biochimie végétale et la cosmétique naturelle, plus on peut soulever d’interrogations. Et entre ce qui est réellement naturel [l’eau est naturelle] et ce qui ne l’est pas [un polytétrafluoroéthylène comme celui du revêtement anti-adhésif de nos ustensiles de cuisine ne l’est pas], une zone floue substiste. Et ce sont ces incertitudes que l’ISO16128 se propose de lever.

Cette norme ISO16128 [Cosmétiques – Lignes directrices relatives aux définitions techniques et aux critères applicables aux ingrédients et produits cosmétiques naturels et biologiques] est divisée en deux parties, intitulées ISO16128-1  [Définitions des ingrédients] et ISO16128-2 [Critères relatifs aux ingrédients et aux produits]. Il y est précisé que l’ISO16128-1 « fournit des lignes directrices relatives aux définitions applicables aux ingrédients cosmétiques naturels et biologiques » tandis que l’ISO16128-2 explique dans sa présentation qu’elle « décrit les méthodes de calcul des indices […] qui s’appliquent aux catégories d’ingrédients définies dans l’ISO16128‑1 ». Et il est également bien stipulé que cette norme ne traite pas « de la communication sur les produits [par exemple, les revendications et l’étiquetage], de la sécurité pour l’homme, de la sécurité environnementale, des aspects socioéconomiques [par exemple, le commerce équitable], des caractéristiques des matériaux d’emballage, ni des exigences réglementaires applicables aux produits cosmétiques. » Les choses sont donc bien claires : la norme ISO16128 permet de définir les ingrédients naturels et biologiques – et a fortiori ceux qui ne le sont pas – mais s’arrête là. Ce qui ne l’empêche pas de constituer la norme actuelle la plus robuste pour établir clairement ce qui nous intéresse ici, à savoir si un ingrédient cosmétique est naturel ou non.

Et donc l’organisation internationale de normalisation [ISO], dont le rôle est de contribuer à l’édition de normes internationales, a souhaité via cet ISO16128 lever les confusions entretenues par la prolifération de labels privés et/ou nationaux, parfois conflictuels – sans compter que les industries comme les consommateurs souhaitent de la clarté, de la transparence et la fin du greenwashing [ce terme désignant le fait de faire passer pour « vert » ce qui ne l’est pas vraiment].

Cette nouvelle norme classe les ingrédients cosmétiques – rappelons qu’elle se limite bien aux seuls ingrédients cosmétiques – en ingrédients naturels, naturels dérivés, et ingrédients non naturels. Avec quelques compléments que nous n’aborderons pas ici.

Les ingrédients naturels y sont définis comme « des ingrédients […] obtenus uniquement à partir de plantes, d’animaux, d’origine microbiologique ou minérale […] par des procédés physiques [par exemple, broyage, séchage, distillation, etc], des réactions de fermentation se produisant dans la nature et conduisant à des molécules qui la nature, et d’autres procédures de préparation, y compris les procédures traditionnelles [par exemple, l’extraction au moyen solvants] sans modification chimique intentionnelle »; et il y ajouté que « les plantes, y compris les champignons et les algues, les minéraux, les animaux, les microorganismes » sont d’origine naturelle, tandis que « les ingrédients obtenus à partir de combustibles fossiles sont exclus de la définition ».

Nous voilà déjà rassurés quant aux huiles essentielles, et à celle de camomille sauvage notamment, puisqu’il s’agit bien d’un ingrédient obtenu à partir d’une plante [la camomille sauvage] par un procédé physique [distillation].

La catégorie suivante concerne les ingrédients naturels dérivés, qui sont des ingrédients cosmétiques dont plus de 50% du poids moléculaire est d’origine naturelle, et obtenus par des processus chimiques et/ou biologiques dans l’intention de modification chimique – rappelons que la catégorie précédente, les ingrédients naturels, excluait cette modification intentionnelle. Bien entendu, si un tel ingrédient est obtenu par recombinaison d’ingrédients naturels, il sera entièrement naturel, même si naturel dérivé.

C’est ainsi que la glycérine végétale, issue des huiles végétales [lesquelles sont bien naturelles puisque obtenues à partir d’une palnte par un procédé physique – le pressage] et de soude [avec donc une modification chimique intentionnelle – séparer le glycérine des acides gras], est un ingrédient naturel dérivé.

Les ingrédients non naturels enfin sont ceux obtenus à partir de combustibles fossiles ou les ingrédients ayant plus de plus de 50% du poids moléculaire d’origine non naturelle. Le propylène glycol, les huiles minérales, la diméthicone, … sont des ingrédients non naturels.

 

Un ingrédient naturel aura un natural index [NI] de 1; un ingrédient non naturel aura un natural index [NI] de 0.
Un ingrédient naturel dérivé aura un natural origin index [NOI] égal à la part d’origine naturelle de son poids moléculaire, fraction évidemment comprise entre 1 [tout y est d’origine naturelle] et 0.5 [si la part d’origine naturelle est inférieure à 0.5, il n’est plus considéré comme naturel].

Ainsi, le SODIUM COCOYL ISETHIONATE, moussant doux largement utilisé dans les savons durs, présente-t-il un poids moléculaire de 326* [l’entièreté de la molécule pèse 326], mais la partie issue du naturel ne pèse que 222; ce qui nous donne un rapport de 222/326, soit 0.68 … au-dessus de 0.5, le SODIUM COCOYL ISETHIONATE peut être classée comme ingrédient naturel dérivé.
* la valeur du poids moléculaire est un chiffre sans unité [elle ne se calcule pas en grammes par exemple], parce qu’il s’agit d’un ratio : la masse de la molécule par rapport à la masse de l’atome d’hydrogène [nous simplifions un brin pour ne pas alourdir encore ce blog] – et un ratio d’une unité de masse par rapport à une autre unité de masse est bien une valeur sans unité.

Copaiba blog ISO 16128 SCI

La molécule de SODIUM COCOYL ISETHIONATE [SCI], dans son entièreté. La partie gauche, jusqu’au double oxygène représenté par la lettre O, provient de l’huile de coco, tandis que la partie droite est amenée par synthèse. La fraction de la molécule représentée en noir [222 parts en masse] est d’origine naturelle, tandis que la partie représentée en couleur [104 parts en masse] est d’origine synthétique.

Pour établir la naturalité d’un cosmétique, il suffit d’additionner le NOI de chaque ingrédient multiplié par son % dans la formule.

Un cosmétique 100% naturel devra donc impérativement être constitué de 100% d’ingrédients au NOI=1. Par contre, un cosmétique peut être constitué entièrement d’ingrédients naturels – autrement dit d’ingrédients naturels et naturels dérivés – sans pour autant atteindre ces 100%. Ainsi, un savon dur au SODIUM COCOYL ISETHIONATE ne pourra jamais être 100% naturel, puisque cet ingrédient ne présente pas un NOI de 1* mais pourra être, dans les mêmes conditions, revendiquer 100% d’ingrédients naturels – autrement dit, revendiquer 100% d’ingrédients au NOI supérieur à 50%.
* à titre d’exemple, si tous les autres ingrédients [huiles végétales, huiles essentielles, argiles, …] sont naturels et que la formule contient 35% de SODIUM COCOYL ISETHIONATE, la naturalité sera de 65% x 1.00 + 35% x0.68 = 88.8%

À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’ISO16128 ne constitue pas une norme harmonisée, autrement dit une norme qui est rendue obligatoire par un texte légal*. Mais elle constitue un repère solide pour apprécier ce qui est naturel ou non en cosmétique, et donc également apprécier si les allégations produites en matière de naturalité sont fantaisistes ou au contraire basées sur une approche prudente et correcte. Et la personne responsable du cosmétique étant garante des allégations qu’elle produit, nous ne pouvons que recommander de les aligner à tout le moins sur cet ISO16128. Copaïba restant bien entendu au service de ses clients Copaïba consultance & formulation™ pour déterminer comment communiquer au mieux, sans dépasser les prescrits légaux ni les légitimes attentes du consommateur, quant à la naturalité de leurs cosmétiques.
* L’ISO22716 [GMP] est elle une norme harmonisée, la 2011/C 123/04 du 21 avril 2011

Partager cet article:

Articles en lien